28 Jan La matriarche (Les puits de l’espoir)
Monique, mon amie, tu es partie dans la nuit de lundi à mardi… J’aimerais tant que ce soit enveloppée de ma reconnaissance, de mon amitié, au chaud. Quel monument tu auras été pour moi. Depuis plus de 15 ans, chaque fois que je débarquais à Paris, parfois en escale vers la Palestine, le Congo, ou une autre de ces destinations vers laquelle si souvent tu m’as dirigé, après une courte sieste, j’allais souper chez toi. C’était devenu une tradition, cette première visite, un lien prioritaire. Véronique était là… Ensemble, on buvait, on parlait, on refaisait le monde qui en avait et en a toujours grand besoin. Ta lumière va nous manquer, en ces temps si obscurs.
On s’est rencontré à ton invitation en Syrie, avec Écritures vagabondes, cet organisme que tu as créé après avoir donné l’âme aux Francophonies en Limousin. Ce voyage et notre amitié qui en découle, sans que je le sache à l’époque, allaient changer ma vie. Ma pièce L’affiche, c’est à ce moment-là qu’elle s’est allumée, c’est là-bas que j’en ai écrit les premiers mots. Avec toi. Grâce à toi. Les carnets que j’ai ensuite publiés chez Émile, c’est toi encore qui y as cru. Puis ce fut le Togo, puis Anvers, Caen, Paris, Orléans… Puis le Congo, où est née ma pièce La porte du non-retour, nouveau jalon à mon œuvre, à ma vie. Tout ce monde parcouru, cette humanité rencontrée, c’est toi. Même mes deux prochains textes à voir le jour découlent de notre rencontre en Syrie, de notre amitié si importante. Tu es la première à avoir réellement pris le temps de m’ouvrir des portes. Si tu savais comme j’en avais besoin. De cette confiance. De ce respect. De ce souffle.
Je disais à peu près ceci de toi, il y a quelques années, dans un ouvrage à ton honneur :
Dans le désert violent dans lequel le monde tombe, tu restes là à nous guider vers les puits de l’espoir, comme ces matriarches éléphants guident leur troupeau en cette Afrique que tu auras portée si fort en toi, que tu auras ouverte pour moi. Tu passes ta vie à donner vie à la parole d’autres. Et que je parle d’éléphants n’est pas anodin. L’espoir et l’eau de notre monde passent par la mémoire, et la mémoire se trouve en ces mots que tu nous pousses à écrire. Ces mots que tu aimais tant, que tu auras irrigués. Ces mots comme barrière entre l’homme et le monstre. Nous avons besoin de toi, Monique. De toi et de tes semblables. Merci de tout cœur pour demain.
Aujourd’hui, j’imagine Sony Labou Tansi t’accueillir, te serrer dans ses bras, te répéter sa gratitude. J’entends le rire complice d’Etel Adnan en te voyant, je l’entends avoir le mot juste, comme toujours, face aux situations déchirantes. Wilfredo Lam est là aussi, en train de repeindre le ciel. Moussa Diagana, Abla Farhoud et les autres, ces autrices et auteurs que tu auras croisé·e·s, encouragé·e·s, ils sont avec toi et te célèbrent. Nous sommes une foule en bas en ce moment à vous regarder fêter, à trouver la nuit plus noire depuis ton départ. Robert Lepage, Wajdi Mouawad, et les autres… Koffi, Rodrigue, Gustave, et les autres… Veronika, Émile, et les autres… Carole, Michel-Marc, Daniel, et les autres… Toutes ces paroles qui ont résonné plus loin grâce à toi. Toutes ces flammes sur lesquelles tu as soufflé, toutes ces portes que tu as ouvertes, ces liens que tu as tissés, ces gens que tu auras accompagnés. Merci pour le théâtre, la littérature, les mots, les liens, le sens et l’espoir.
Mais le temps roule sur nous tous, sans pitié. Sur toi aussi bien sûr. Être généreuse ne met personne à l’abri. Je me rappelle en novembre dernier, dans ton appartement, ta main dans la mienne… Que d’émotions. J’espère qu’à ce moment, tu auras saisi à quel point tu étais plus que tout ça pour moi. À quel point tu es et resteras ma grande amie. Merci. De cette richesse, de ces échanges, de cette rigueur face à la vie. Tu me manques.
Une immense pensée à vous Arnauld et Véronique, ses enfants. Votre mère était une source d’inspiration pour moi. Je sais à quel point vous êtes chaviré·e·s. Je suis et je resterai là. Je vous serre fort.
Philippe Ducros
Un ultime hommage aura lieu le lundi 31 janvier 2022 à 10 h 30
à l’église Sainte-Rosalie (50, boulevard Auguste-Blanqui, Paris).
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Monique Blin. © Philippe Ducros (2006)