19 Jan Là où se cache le Hamas
Je suis rentré mardi soir d’un troisième voyage en Palestine occupée et en Israël. Outre le fait que de voir le constant pilonnage (parfois jusqu’à une explosion chaque minute) donne une réalité troublante de l’ampleur de l’offensive, outre l’incroyable violence des impacts (où les débris montent à des hauteurs qui donnent aux édifices adjacents des allures de nains), il me semble crucial de rapporter ici certains constats faits lors de ce séjour.
Sans aucun doute, Israël a le droit de revendiquer la sécurité de ses citoyens et de prendre les moyens nécessaires pour y arriver. On comprend le souhait d’éradiquer le Hamas, un organisme obscurantiste et dangereux. Oui, les qassams doivent s’arrêter, tout comme doit s’arrêter l’occupation.
Mais l’anéantissement du Hamas est-il vraiment ce que cherche Israël?
Le Hamas fait partie de ces groupes qui se nourrissent du ressentiment, de l’humiliation et la souffrance d’un peuple, de son besoin de résistance et du besoin d’un avenir actuellement inaccessible. Inutile de chercher à le déloger par les armes, il se cachera encore plus profondément dans les âmes. On ne peut pas nier à un peuple le droit d’exister et s’attendre ensuite à ce qu’il ne résiste pas. Et c’est sur ce besoin vital que le Hamas puise sa force. Il utilise la peur, l’humiliation, le désespoir et le manque pour grossir, pour vivre. On peut détruire tous les qassams de ses militants, ceux-ci reviendront encore et toujours, quitte à le faire avec les armes des plus pauvres d’entre les pauvres, le retour des bombes humaines. Faute de lancer leurs roquettes artisanales, ils feront sauter leur rancune, leur douleur et leur peur dans les autobus qui mèneront de l’enfance à l’horreur. Le trajet est simple. L’autobus est plein. On peut croire à la destruction des tunnels où ils s’approvisionnent, le plus puissant d’entre eux se creusera encore plus loin au coeur du désespoir des civils, des familles en deuils, des fils de «martyrs». Partout où je suis allé en Cisjordanie, là où le Hamas n’avait plus d’assises réelles ni de crédibilité, il m’a fallu constater son renforcement, voire, sa résurrection. Il a aujourd’hui la cote dans les passions. Par cette offensive, Israël dope le Hamas aux stéroïdes.
Sans eau, sans électricité, sans horizon autre qu’un mur de ciment de huit mètres de haut, sans avenir autre que les camps surpeuplés, les checkpoints omniprésents, l’humiliation des permis, l’aléatoire des incursions, des emprisonnements, des assassinats sélectifs, des maisons détruites par punitions collectives, des oliviers rasés, du racisme le plus abject et des sanctions les plus répressives, des couvre-feux et des barrages, sans les composantes mêmes de la dignité, la vie n’est plus qu’une bulle dans le narguilé de Dieu. Ne restent que les mosquées où se rassembler. Et les barbus récoltent autant de disciples que de poils à leurs barbes.
Cette dernière offensive vient cimenter le désespoir. Ont déjà explosé : les postes de police, les ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères, des Travaux publics, de la Justice, de l’Éducation, du Travail et de la Culture, le palais présidentiel, le Parlement, le bureau du premier ministre. La population en conclut que ce n’est pas seulement le Hamas qui est visé, mais la vie même de la bande de Gaza et de ses habitants. Trois écoles de l’ONU ont été bombardées, dont une où plus de 40 personnes qui y avaient trouvé refuge ont été tuées. Quand apparaît l’argument des boucliers humains, il est bon de savoir que la bande de Gaza est l’endroit où la densité de population est la plus élevée du monde. On trouve dans le camp de Jabalya plus de 100 000 habitants sur un à deux kilomètres carrés.
Il faut remarquer qu’un Hamas fort permettra toujours aux Israéliens de repousser l’idée de deux États côte à côte, remettant à jamais la création de l’État de la Palestine. Ces agressions ne feront qu’enflammer la rage des groupes armés de Palestine, les poussant à l’action et permettant une fois encore à Israël de se défendre, et ainsi de ne pas respecter ce envers quoi il s’est engagé, soit : l’arrêt de la colonisation, la levée des sanctions et des sièges, et finalement l’arrêt de l’occupation et la création d’un État palestinien indépendant.
Cela dit, ce qui est encore plus terrifiant, c’est que ce nouveau massacre grossit également la haine et la rancune des autres musulmans partout dans le monde. Partout, ils se sentent humiliés. Ils s’identifient aux Palestiniens. Il est évident que les barbus, que ce soient ceux du Liban ou de Palestine, ou encore plus inquiétant, ceux d’Iran, d’Afghanistan ou ceux d’al-Qaïda, sauront tirer profit de l’horreur de cette destruction massive. Plus la supposée riposte sera démesurée, plus seront alimentées la rancune et la haine.
L’impunité complète dont jouit Israël en occident face à ses actions doit cesser. Nos gouvernements sont coupables d’une augmentation des tensions qui risque fort d’être explosive. Nous devenons alors la vache à lait de cet ennemi invisible et omniprésent, en alimentant sa source de vie qui est cette rancune, ce désespoir. Nous devenons l’ennemi.
Il y a moins d’une semaine, je marchais dans les rues désolées du secteur H-1 au centre-ville d’Hébron, centre industriel du sud de la Cisjordanie. À Hébron, 400 colons vivent protégés par 2000 soldats. Les soldats sont partout. Certains sont en colère envers les colons qu’ils considèrent comme les plus radicaux de tous les radicaux. C’est à Hébron que Barush Goldstein, colon radical, a ouvert le feu en 1994 pendant la prière, dans la mosquée Ibrahimi, le caveau des Patriarches où repose Abraham. Vingt-neuf morts sur le coup. C’était un fou, me direz-vous, un fanatique… Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que dans East Har Hevron, la colonie qui borde le secteur H-1, une stèle a été érigée en son honneur au milieu d’un parc.
À la sortie du secteur H-1, j’ai croisé un Palestinien, commerçant dans une des deux boutiques encore ouvertes pour les touristes. Je lui ai demandé : « Comment va la vie? » Il m’a répondu : « On ne peut pas demander à un homme sans emploi comment va le travail ou à un célibataire comment vont ses amours… C’est pareil pour nous avec la vie. »
Si vous voulez qu’ils arrêtent de tuer au nom de la vie, donnez-leur le sentiment d’en avoir une.
Ce texte a été publié dans la section Idées du journal Le Devoir le 19 janvier 2009.